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Frédéric : « S’unir à une personne handicapée serait donc une forme de sacrifice ? »

Ma femme souffre d’un double handicap : une maladie rare neuromusculaire et une surdité très sévère. En comptant les 240 € d’AAH qu’elle touche, nous avons à peu près les moyens de deux personnes touchant chacune le SMIC, avec une fille qui rentre au lycée l’an prochain. Nous n’avons aucun patrimoine. Nous mangeons à notre faim, sommes locataires dans un logement chauffé, avec une petite cour. Mais ma femme vit une existence éprouvante, sans autonomie à l’extérieur (je dois prendre la voiture pour aller travailler et en avoir une 2ème nous coûtait trop cher).

Nous n’avons pas les moyens de compenser son handicap par des aménagements vraiment confortables pour elle. Il nous faut faire très attention : presque aucun « extra ».

Le quotidien est fatiguant et stressant car elle ne sait jamais vraiment à l’avance si elle va être assez « en forme » pour aller quelque part et ses rapports sociaux sont devenus aussi rares que difficiles. Elle a du mal à faire des trajets en voiture de plus de 20 km et a dû renoncer à des choses qui lui faisaient du bien, comme des séances de piscine et de massage chez un kiné.

Les études de notre fille approchent et la situation l’inquiète beaucoup. 

 Lorsque ma fille aura 20 ans, ses études ne seront sûrement pas terminées (elle a envie d’étudier et il me semble que c’est son droit dans un pays comme la France se vante d’être) et l’AAH que touche ma compagne s’envolera, moins de 4 ans après y avoir eu droit… 

Ma femme est tellement éprouvée et inquiète qu’elle envisage de divorcer. Si cela se produit, mes revenus actuels auront un peu augmenté lorsque ma fille aura 20 ans et, avec un enfant majeur à ma charge, je payerai très peu d’impôts. Nous aurions à peu près pour deux les mêmes moyens que si nous étions toujours trois, sans parler des frais de santé en moins Mon ex-femme touchera l’AAH complète, bénéficiera de la CMU pour ses frais de santé, et pourra peut-être même participer financièrement aux études de notre fille (très peu mais c’est important symboliquement et donc psychologiquement). 

Sinon, avoir voulu s’aimer et vivre comme une famille normale va nous plonger dans une période sûrement très incertaine, qui va peser lourd sur ma femme déjà épuisée, et sur notre fille qui montre déjà des signes d’anxiété, et qui n’avait rien demandé…

Les disputes qui éclatent souvent entre nous à cause de cette situation n’arrangent rien. Pour l’instant, le quotidien est dur pour ma femme qui, en plus des souffrances liées à ses pathologies, se sent responsable de nos difficultés, se dévalorise et n’a pas de reconnaissance sociale. Ironie du sort, sa maladie lui interdit en plus les médicaments contre la dépression et l’anxiété. La première commence à la menacer, et la seconde la ronge depuis bien longtemps… 

Une personne qui perçoit l’AAH est reconnue comme ne pouvant pas s’insérer normalement dans le monde du travail, et ce malgré sa volonté.

Doit-elle pour autant se considérer comme un poids lorsqu’elle envisage de mener une vie sentimentale et/ou familiale ? C’est ce à quoi la loi actuelle la condamne. Cette dernière fait pour l’instant fonctionner l’AAH comme un minimum social, qui condamne une personne handicapée sans ressources à la précarité (même en couple un conjoint n’est pas une valeur forcément stable) et à la dépendance. 

La seule alternative à cette précarité est de rester célibataire… Mais le handicap peut toucher à tout moment !

Lorsque j’ai rencontré ma future femme, elle n’était pas atteinte de surdité et avait un emploi en CDD. Elle ne touchait pas l’AAH car son taux d’invalidité était insuffisant. Elle avait tout fait pour continuer à travailler. Même accepté une place qui l’avait faite rechuter après une période de rémission. Nous avons eu le bonheur d’avoir une merveilleuse petite fille bien portante. Ma compagne comptait retrouver du travail lorsque notre fille entrerait à la maternelle. Mais avant que notre fille marche, on diagnostiqua à sa mère un début de surdité appelé à s’aggraver, avec nécessité de s’appareiller immédiatement des deux oreilles…

Rencontre avec une représentante de la MDPH : informations très lacunaires sur les aides financières (qu’il faut aller chercher aux forceps tous les quatre ans, durée de vie d’appareils auditifs à plus de 2000 € l’un) et tendance à minimiser les choses : « Si vous n’avez pas les moyens de vous appareiller les deux oreilles, commencez au moins par une… ». Dans le même entretien, proposition pour un emploi physique alors que la maladie de ma compagne lui interdit tout effort prolongé ou répétitif, et tout port de charge, comme l’avait spécifié un médecin du travail lors de son licenciement pour non aptitude physique… Ma femme n’a pas voulu s’appareiller et sa surdité s’est aggravée.

Côté professionnel, malgré une reconnaissance de travailleur handicapé et un taux réévalué (mais encore inférieur à 80 %), ma compagne ne parvient pas à trouver un emploi qu’il lui est possible d’assumer.

Sa surdité complique les choses et interagit avec son autre pathologie. Nous découvrons l’existence de la pension d’invalidité mais, encore une fois mal conseillés, nous aurions dû faire une demande plus tôt après son dernier emploi pour qu’elle la touche. Plus de dix ans plus tard, nouvelle révision du taux d’invalidité, et obtention du droit à l’AAH à l’automne 2019. 

Que dire de l’argument qui évoque une priorité de la solidarité familiale sur la solidarité nationale ? S’unir à une personne handicapée serait donc une forme de sacrifice ? Ou de charité ? Peut-être faut-il être riche pour se permettre de vivre et d’avoir des enfants avec la personne que l’on aime ? Être handicapé voudrait donc dire être un poids, être relégué aux statuts d’infirme ou d’invalide d’un autre temps ? Peut-être ne peut-on vivre et avoir des enfants avec la personne que l’on aime que si elle a les moyens de nous prendre en charge ? 

Evidemment une refonte de l’AAH représenterait une hausse des dépenses publiques alors que, selon certains, elle ne répondrait pas à un besoin urgent. Mais les allocations familiales versées sans conditions de ressources sont-elles alors une dépense vraiment nécessaire ? Si la solidarité familiale doit prendre le relais de la solidarité nationale lorsque c’est possible, est-ce que donner de l’argent à une famille ayant plusieurs enfants et quels que soient ses revenus, est une dépense juste et répondant forcément à une situation critique ? Pourquoi l’AAH de ma femme disparaîtrait-elle aux 20 ans de notre fille alors que les familles imposables (et donc en particulier celles ayant quelques moyens…) peuvent bénéficier de réductions d’impôts lorsqu’elles ont des enfants étudiants, et ce jusqu’aux 26 ans de ces derniers ?

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Sylvie : « Je suis outrée d’entendre parler de solidarité familiale… »

J’ai 50 ans, handicapée depuis l’âge de 27 ans : une rupture d’anévrisme, provoquée par les coups de mon conjoint. J’étais une femme battue et un caillou s’est formé sans que je le sache. Je suis partie avec mes deux enfants, j’étais aide soignante à domicile.

Mes parents ont tout fait : les démarches pour l’AAH et la pension d’invalidité. 890€ mensuels pendant des années, avec deux enfants ! Pas le droit à d’autres aides. Aujourd’hui, je suis mariée depuis 2016.  Mon AAH est maintenant de 375€  au lieu de 690€ . Mon mari est retraité, il a 1180€. Ce n’est pas la joie, je dépends de mon mari.

  • Loyer 490€
  • EDF 135€
  • Eau 45€
  • Prêt  250€
  • Assurance 300€
  • Mutuelle 290€
  • Téléphone internet 45€
  • Bracelet d’assistance SOS 63 € (que je vais devoir rendre faute d’argent)

Nous vivons chaque mois à découvert, et c’est de pire en pire.

Moi, je n’ai pas demandé à être handicapée et je suis outrée d’entendre parler de solidarité familiale : on dépend de mari, enfants, parents comme le dit la Secrétaire d’Etat en charge du Handicap.

Je ne divorcerai jamais même si la loi ne passe pas car j’ai un mari en or. Je ne prendrai plus mon traitement, je mettrai fin à ma vie, je souffre trop et j’ai bien compris que je ne manquerai pas à l’État .

Je suis tétraplégique gauche, aphasique, j’ai perdu ma mémoire épisodique, j’ai eu un double cancer du colon de graves problèmes de thyroïde. Sans compter les AVC.  Donc la mort ne me fait pas peur !

Aujourd’hui  je suis très en colère, je n’ai plus de dignité, je n’ai plus d’aide humaine ! C’est mon mari qui s’occupe de tout ! Malgré son âge et ses propres problèmes de santé.

Nous sommes les oubliés de la France ! J’espère que vous m’avez compris et que la loi passera. Car, sinon, cela aura des conséquences dramatiques.

N. B. : L’équipe du prixdelamour.fr a aidé Sylvie à rédiger son témoignage.

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Gwen : « La solidarité dans un couple est déjà tellement présente à longueur de journée… »

Actuellement, mon mari a une invalidité à + 80%. Il a une inaptitude à vie pour le travail. Nous avons deux enfants de moins de 20 ans, nous touchons l’intégralité de son AAH soit 902 euros. Dans quelques années, si la loi ne change pas, nous n’aurons plus que mon salaire d’aide soignante pour survivre, et le mot est pesé.

Comment peut-on comparer l’AAH avec le RSA ? Pour l’un des deux, le retour à l’emploi n’est plus possible. La solidarité familiale est primordiale mais sur le plan financier, comment accepter de dépendre de quelqu’un ? Quelle dignité reste-t-il à ses personnes que la vie a déjà cabossé ? 

Je voulais aussi ajouter que mon métier d’aide soignante me permet de voir dans mon service beaucoup d’aidants qui sont hospitalisés car usés moralement et physiquement. Il n’est pas rare de voir que les aidants décèdent avant leur conjoint.s.es atteint.s.es de handicap car ils.elles sont à bout. C’est malheureusement la triste réalité.

La solidarité dans un couple est déjà tellement présente à longueur de journée, je viens combler tout ce que mon mari ne peut pas faire seul ou pour les enfants.

Il fait tout son possible pour m’aider mais sa maladie le submerge vite et le fait craquer face au premier obstacle. Mon mari a une maladie invisible qui est encore plus compliqué à faire admettre, je dois gérer la maison, les enfants, l’école après ou avant mon travail.

En étant mariés, l’État fait des économies puisque seul, mon mari serait dans l’obligation d’avoir des aides, alors en plus nous supprimer l’AAH… Quelle injustice !

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Valérie : « Pourquoi cette « solidarité familiale » nous entraine vers la pauvreté ? »

Depuis 2010, je suis reconnue handicapée à 80 % . Je suis mariée depuis 2001. Mon AAH a donc été réduite dès le début. Ma fille qui est aussi porteuse de handicap a eu 20 ans cette année, et aujourd’hui je perds encore 700 € de mon AAH !  Ma fille étant handicapée, elle vit donc bien encore à notre charge, contrairement au mode de calcul de la CAF ! Elle ne touche pas d’AAH.

Les temps sont vraiment difficiles, nous sommes 4 à vivre sur le seul salaire de mon mari qui est aussi mon aide au quotidien, comme un auxiliaire de vie. Il prend soin de nos deux enfants aussi.

Aujourd’hui nous avons du mal à joindre les deux bouts, notre loyer est de 750 € .

Nous allons devoir nous endetter pour pouvoir vivre ! C’est trop dur, les pleurs sont là, je ne le cache pas. Pourquoi cette « solidarité familiale » nous entraine vers la pauvreté ?

Je n’ai pas demandé à ne pas pouvoir travailler, mon état de santé est indépendant de ma volonté, de celle de ma famille. J’espère que le gouvernement va sérieusement se pencher sur notre cas, le cas de milliers de foyers devenus précaires.

Je suis en colère contre cette injustice !

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Amandine : « La solidarité familiale est bien présente et la désolidarisation des revenus du conjoint n’y changera rien.»

Maman et femme épanouie ou presque…
Handicapée depuis l’âge de 13 ans, je me suis toujours battue afin d’être au maximum « comme tout le monde ». Alors comme tout le monde je suis allée à l’école, j’ai appris un métier, tout cela en alternant école et lourdes interventions chirurgicales ainsi que rééducation. Je suis sortie diplômée. Comme tout le monde j’ai cherché du travail et je me suis vu confrontée à l’une des plus grandes injustices, la discrimination à l’embauche…
J’ai eu la chance de trouver l’amour, de fonder une famille et même d’acheter une maison… Ah non, pas vraiment puisque ne travaillant pas, ne percevant « que » l’AAH, je n’ai pas pu contribuer à l’achat de notre maison.

Depuis quelques années mon conjoint a eu la chance d’évoluer professionnellement ainsi notre pouvoir d’achat aurait dû pouvoir augmenter mais non, plus il travaille, moins je perçois et c’est toute la famille qui en pâtit…

Je tiens à préciser que mon conjoint est réparateur en atelier, qu’il touche donc ce que l’on considère comme un salaire moyen. Et moi qui souffre dans mon corps, qui souffre de ne pas exister dans la société, de rester encore et toujours sans emploi… Je me vois diminuer d’année en d’année, de n’être que « le boulet » de tous… Je perds de l’argent, mais je perds avant tout en indépendance, en confiance en moi… Afin d’éviter d’affecter mon moral plus qu’il ne l’est, mon conjoint m’a gentiment proposé de compenser la perte d’AAH…

Il a longtemps refusé de prendre des heures supplémentaires pour me permettre de conserver mon AAH, il a opté pour avancer dans sa carrière en me promettant de ne pas amputer mon confort de vie.

C’est cette même personne qui prend sur ses vacances pour s’occuper de nos enfants quand je suis trop mal pour le faire, qui assure le quotidien quand les douleurs sont trop intenses, qui est en première ligne quand tout devient trop dur et que mon moral flanche…

La solidarité familiale est bien présente et la désolidarisation des revenus du conjoint n’y changera rien.

Elle nous permettra « juste » d’avoir un soucis en moins… Mon état de santé ne s’améliore pas, il risque au contraire de se dégrader.

Ce projet de loi serait pour nous l’assurance d’un avenir financier correct. En votant cette loi, de nombreux couples auront l’assurance d’un avenir où les soucis d’ordre financier ne seront pas une priorité, restera à la charge de la solidarité familiale les soucis d’ordre médicaux tels que le vieillissement des personnes handicapées, leur avenir quand le conjoint ne sera plus en mesure d’assumer ce rôle d’aidant, quand cette tâche sera celle des enfants si enfant il y a. Notre famille est là première à subir les dommages collatéraux du handicap,

n’oublions pas que cette loi serait à la fois sécurisante pour nous personnes handicapées mais aussi pour l’ensemble de nos proches !